Catalogne, la Russie a-t-elle (réellement) essayé de diviser l’Espagne…et l’Union européenne ?

Auteur(s)

Date

9 avril 2018

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Résumé

L’image de citadelle assiégée renvoyée par Madrid au moment de la crise catalane soulève de nombreuses questions, et interroge sur la propension que peuvent avoir certains acteurs politiques à tendre vers des logiques d’exception au nom d’une lutte contre une menace informationnelle et/ou pour défendre un système démocratique en proie à de prétendues attaques exogènes.

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9 avril 2018

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Résumé

L’image de citadelle assiégée renvoyée par Madrid au moment de la crise catalane soulève de nombreuses questions, et interroge sur la propension que peuvent avoir certains acteurs politiques à tendre vers des logiques d’exception au nom d’une lutte contre une menace informationnelle et/ou pour défendre un système démocratique en proie à de prétendues attaques exogènes.

Après le Brexit, l’élection américaine de novembre 2016, la présidentielle française, les élections en Allemagne, ou plus récemment le référendum d’auto-détermination catalan, la Russie aurait également essayé d’interférer dans le processus électoral italien. Le prétendu déroulé des opérations est relativement classique, avec une attaque informationnelle venant exploiter des failles politico-sociétales par le biais des médias que sont Russia Today et Sputnik, et des « armées » de bots et de trolls lancés sur Twitter et Facebook. Ce narratif s’il est à bien des égards opérant, et étayé sur des éléments factuels, n’en est pas moins problématique. Certains des articles qui traitent cette épineuse question des fake news électorales et politiques ont une approche que nous pourrions qualifier de modèle interprétatif réductionniste, voire osons le terme, conspirationniste.

Si la démarche inhérente à ces articles exploratoires, à savoir essayer de mettre au jour les rapports de forces politiques qui irriguent l’écosystème digital, notamment en période électorale, est évidemment intéressante et nécessaire, certains biais méthodologiques et explicatifs nous semblent être discutables. Notre démarche n’est pas aisée, et l’angle de cet article nous positionne de facto sur une ligne de crête particulièrement inconfortable.

L’enjeu n’est aucunement de relativiser certains agissements propres à ce que dans un précédent article nous avions qualifié de conflictualité informationnelle, mais plutôt de poser les linéaments d’une déconstruction du narratif global associé à la thématique des fake news.

Deux hypothèses complémentaires ont animé ce travail de recherche :

  1. Le discours politique et médiatique sur les fake news ne serait-il pas symptomatique d’une forme de fièvre obsidionale dont les conséquences politiques sont plus réelles que la menace initiale ? Dans le cas français, le projet de loi sur les fake news constitue un potentiel tournant en termes de liberté d’expression sur internet, et a pour origine une volonté de contrecarrer les ingérences extérieures de puissances comme la Russie, dont les organes médiatiques ont été appréhendés par Emmanuel Macron notamment comme des « organes d’influence » répandant de la « propagande mensongère ».

    Voir l’action de bots et de trolls russes derrière chacun des grands faits politiques touchant les démocraties libérales occidentales n’est-ce pas au contraire donner l’impression que nous aurions basculé dans un état de siège permanent, qui nécessiterait, à terme, un état d’exception ?

    Le 7 mars dernier le quotidien Le Monde a publié le document rédigé par les députés de la LREM ayant vocation à servir de base à la proposition de loi contre la diffusion de fausses nouvelles. Quelques jours auparavant dans les colonnes du Figaro, la ministre de la Culture, François Nyssen, expliquait que cette future loi est « nécessaire pour protéger notre démocratie contre les ingérences extérieures ». L’un des axes de ce document concerne notamment le fait qu’à l’avenir l’autorité judiciaire aurait à déterminer si un contenu éditorial peut être appréhendé comme relevant de la fausse information. Cette évolution est loin d’être anodine et viendrait octroyer à la justice un pouvoir ressortissant finalement du champ politique. Quid du relativisme ? Quid du perspectivisme ontologique ? Est-ce à dire que la frontière entre le vrai et le faux est si nette ?

  2. L’omniprésence discursive de ce que l’on pourrait qualifier de topos de l’ingérence russe ne s’inscrit-elle pas dans une structure narrative revêtant des similitudes avec les théories du complot ? En d’autres termes, la stratégie de dénonciation de la dissémination de fake news prétendument émises par la Russie peut-elle constituer un ressort communicationnel d’influence en période sensible ?

    Cet axe de réflexion s’avère plus sensible puisqu’il fait appel à la réflexion autour des théories du complot. Lors de précédents travaux universitaires nous nous étions notamment intéressé à la remise en cause des discours officiels et à la structuration de la circulation et de l’influence des discours alternatifs lors des attentats ayant touché la France en 2015 et en 2016. L’une des spécificités des discours alternatifs en période de crise réside notamment dans la volonté de rendre cohérente une situation chaotique et erratique en faisant référence à un discours mythologique et pseudo-rationnel à même de constituer une grille de lecture rassurante et explicative.

Lire la suite sur Medium.

 

Après le Brexit, l’élection américaine de novembre 2016, la présidentielle française, les élections en Allemagne, ou plus récemment le référendum d’auto-détermination catalan, la Russie aurait également essayé d’interférer dans le processus électoral italien. Le prétendu déroulé des opérations est relativement classique, avec une attaque informationnelle venant exploiter des failles politico-sociétales par le biais des médias que sont Russia Today et Sputnik, et des « armées » de bots et de trolls lancés sur Twitter et Facebook. Ce narratif s’il est à bien des égards opérant, et étayé sur des éléments factuels, n’en est pas moins problématique. Certains des articles qui traitent cette épineuse question des fake news électorales et politiques ont une approche que nous pourrions qualifier de modèle interprétatif réductionniste, voire osons le terme, conspirationniste.

Si la démarche inhérente à ces articles exploratoires, à savoir essayer de mettre au jour les rapports de forces politiques qui irriguent l’écosystème digital, notamment en période électorale, est évidemment intéressante et nécessaire, certains biais méthodologiques et explicatifs nous semblent être discutables. Notre démarche n’est pas aisée, et l’angle de cet article nous positionne de facto sur une ligne de crête particulièrement inconfortable.

L’enjeu n’est aucunement de relativiser certains agissements propres à ce que dans un précédent article nous avions qualifié de conflictualité informationnelle, mais plutôt de poser les linéaments d’une déconstruction du narratif global associé à la thématique des fake news.

Deux hypothèses complémentaires ont animé ce travail de recherche :

  1. Le discours politique et médiatique sur les fake news ne serait-il pas symptomatique d’une forme de fièvre obsidionale dont les conséquences politiques sont plus réelles que la menace initiale ? Dans le cas français, le projet de loi sur les fake news constitue un potentiel tournant en termes de liberté d’expression sur internet, et a pour origine une volonté de contrecarrer les ingérences extérieures de puissances comme la Russie, dont les organes médiatiques ont été appréhendés par Emmanuel Macron notamment comme des « organes d’influence » répandant de la « propagande mensongère ».

    Voir l’action de bots et de trolls russes derrière chacun des grands faits politiques touchant les démocraties libérales occidentales n’est-ce pas au contraire donner l’impression que nous aurions basculé dans un état de siège permanent, qui nécessiterait, à terme, un état d’exception ?

    Le 7 mars dernier le quotidien Le Monde a publié le document rédigé par les députés de la LREM ayant vocation à servir de base à la proposition de loi contre la diffusion de fausses nouvelles. Quelques jours auparavant dans les colonnes du Figaro, la ministre de la Culture, François Nyssen, expliquait que cette future loi est « nécessaire pour protéger notre démocratie contre les ingérences extérieures ». L’un des axes de ce document concerne notamment le fait qu’à l’avenir l’autorité judiciaire aurait à déterminer si un contenu éditorial peut être appréhendé comme relevant de la fausse information. Cette évolution est loin d’être anodine et viendrait octroyer à la justice un pouvoir ressortissant finalement du champ politique. Quid du relativisme ? Quid du perspectivisme ontologique ? Est-ce à dire que la frontière entre le vrai et le faux est si nette ?

  2. L’omniprésence discursive de ce que l’on pourrait qualifier de topos de l’ingérence russe ne s’inscrit-elle pas dans une structure narrative revêtant des similitudes avec les théories du complot ? En d’autres termes, la stratégie de dénonciation de la dissémination de fake news prétendument émises par la Russie peut-elle constituer un ressort communicationnel d’influence en période sensible ?

    Cet axe de réflexion s’avère plus sensible puisqu’il fait appel à la réflexion autour des théories du complot. Lors de précédents travaux universitaires nous nous étions notamment intéressé à la remise en cause des discours officiels et à la structuration de la circulation et de l’influence des discours alternatifs lors des attentats ayant touché la France en 2015 et en 2016. L’une des spécificités des discours alternatifs en période de crise réside notamment dans la volonté de rendre cohérente une situation chaotique et erratique en faisant référence à un discours mythologique et pseudo-rationnel à même de constituer une grille de lecture rassurante et explicative.

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