Black blocks : médiologie d’un mode action individualiste surexcité

Date

26 novembre 2019

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Résumé

Les black blocs, groupe affinitaire et temporaire, excellent dans la programmation numérique de l’action physique. Nihilisme symbolique et individualisme surexcité, le tout sur fond de communautés numériques : c’est bien la troisième génération de la révolte dont parle Régis Debray : sans contre-projet, mais dans l’action comme révélation de soi.

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26 novembre 2019

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Résumé

Les black blocs, groupe affinitaire et temporaire, excellent dans la programmation numérique de l’action physique. Nihilisme symbolique et individualisme surexcité, le tout sur fond de communautés numériques : c’est bien la troisième génération de la révolte dont parle Régis Debray : sans contre-projet, mais dans l’action comme révélation de soi.

Lblack blocs, silhouettes sombres et mouvements de groupe fluides, sont des figures familières de la plupart des manifestations. Le phénomène n’est pourtant pas si nouveau : les ‌‌schwarzer blocks allemands des squats berlinois remontent aux années 80 et ont leurs propres ancêtres chez les autonomes et les « indiens métropolitains » des années 70.

Il est facile d’analyser la chose en termes politiques classiques. Une fraction de l’extrême ou ultra gauche serait prédisposée à l’action extra-parlementaire dure, celle qui déborde partis et revendications pacifiques. Elle prônerait l’action pour l’action, sous prétexte d’être hyper anti, hyper antifascistes ou anticapitalistes. Elle choisirait l’affrontement radical et l’excitation individuelle plutôt que la laborieuse construction d’un mouvement de masse. Et ne compterait guère sur le peuple.

Défiguration du message

À l’appui de cette thèse, une très faible production idéologique et stratégique. Taguer une faucille et un marteau à côté d’un emblème anarchiste ou reprendre toutes les causes dans l’air du temps -oppressions sexuelle, raciale, écologique – mais en version hard, apparaît comme un alibi de l’impatience voire une affaire de testostérone (guère de filles parmi les black blocs). Et quand quelqu’un théorise, comme le groupe dit de Tarnac ou le Comité invisible, beaucoup font remarquer que ce ne sont pas de « vrais » black blocs, obédience par définition secrète.

On peut aussi juger la question en termes moraux. S’indigner des pertes qu’ils provoquent, ou des symboles qu’ils attaquent, telle la statue du maréchal Juin. Se plaindre de ce qu’ils défigurent le message des manifestants. Remarquer qu’ils déclenchent la répression et favorisent a contrario le discours de la peur. Voire le parti de l’ordre (que semble être devenu LREM aux dernières élections européennes à voir la sociologie du vote). Et les plus soupçonneux de parler de curieuse indulgence des autorités, voire de complicité objective.

Les black blocs piquent aussi la curiosité du médiologue. Par leur silence rageur d’abord : pour eux, détruire c’est dire. On a remarqué qu’ils s’en prenaient à des symboles du capitalisme, de la voiture de luxe à la vitrine de fast food et qu’ils agressaient plus les choses que les gens. Dans tous les cas, ils n’ont ni local, ni représentants qualifiés, ni service de communication à interviewer. Moins encore de programme. Il faut donc, sauf à se fier à des confessions incertaines, interpréter le laconisme du vandalisme : l’objet brisé représente le monde qu’ils haïssent et cela clôt la discussion.

Communauté sans frontières

Les black blocs se révèlent aussi à travers leur conception du mouvement et du territoire. Tout d’abord ils convergent. Venus parfois de loin, formant une communauté sans frontières, ils se rassemblent vite pour s’amalgamer à un mouvement plus général, plus placide et plus lent : les « vrais » manifestants. C’est la technique du raid, coordination et vitesse d’attaque, ou plus exactement la méthode dite de l’essaim : venir de partout, frapper et repartir. Cette stratégie (swarming en anglais) a d’ailleurs été théorisée par les centres de recherche de l’armée américaine dans les années 90 : des forces dispersées, bien reliées par les réseaux numériques, frappent au point qui provoque le maximum de chaos, puis redisparaissent.

Mais, une fois rassemblés, le temps de la performance, les black blocs délimitent théâtralement l’espace qu’ils dominent : on s’y affrontera à la police, on y produira une « zone » de réalisation éphémère de liberté destructrice. Éventuellement, on y recherchera l’exploit spectaculaire (et il faut leur reconnaître une compétence d’ordre militaire). En attendant la prochaine représentation. On n’est donc black bloc que le temps d’agir.

Derrière ces mouvements et ces rites, il y a des moyens de communication. Les black blocs savent la façon de se retrouver, de s’identifier, pour décider d’une tactique et d’un objectif, d’échapper à la surveillance policière, tout cela sur les réseaux sociaux, suivant les règles de la cryptologie et de l’anomymisation.

Certes, ils ne sont pas les seuls et nous notion les progrès des manifestants en matière de cyber manifestation ou e-émeute. Mais les black blocs, groupe affinitaire et temporaire excellent dans la programmation numérique de l’action physique. Nihilisme symbolique et individualisme surexcité, le tout sur fond de communautés numériques : c’est bien la troisième génération de la révolte dont parle Régis Debray : sans contre-projet, mais dans l’action comme révélation de soi.

Lblack blocs, silhouettes sombres et mouvements de groupe fluides, sont des figures familières de la plupart des manifestations. Le phénomène n’est pourtant pas si nouveau : les ‌‌schwarzer blocks allemands des squats berlinois remontent aux années 80 et ont leurs propres ancêtres chez les autonomes et les « indiens métropolitains » des années 70.

Il est facile d’analyser la chose en termes politiques classiques. Une fraction de l’extrême ou ultra gauche serait prédisposée à l’action extra-parlementaire dure, celle qui déborde partis et revendications pacifiques. Elle prônerait l’action pour l’action, sous prétexte d’être hyper anti, hyper antifascistes ou anticapitalistes. Elle choisirait l’affrontement radical et l’excitation individuelle plutôt que la laborieuse construction d’un mouvement de masse. Et ne compterait guère sur le peuple.

Défiguration du message

À l’appui de cette thèse, une très faible production idéologique et stratégique. Taguer une faucille et un marteau à côté d’un emblème anarchiste ou reprendre toutes les causes dans l’air du temps -oppressions sexuelle, raciale, écologique – mais en version hard, apparaît comme un alibi de l’impatience voire une affaire de testostérone (guère de filles parmi les black blocs). Et quand quelqu’un théorise, comme le groupe dit de Tarnac ou le Comité invisible, beaucoup font remarquer que ce ne sont pas de « vrais » black blocs, obédience par définition secrète.

On peut aussi juger la question en termes moraux. S’indigner des pertes qu’ils provoquent, ou des symboles qu’ils attaquent, telle la statue du maréchal Juin. Se plaindre de ce qu’ils défigurent le message des manifestants. Remarquer qu’ils déclenchent la répression et favorisent a contrario le discours de la peur. Voire le parti de l’ordre (que semble être devenu LREM aux dernières élections européennes à voir la sociologie du vote). Et les plus soupçonneux de parler de curieuse indulgence des autorités, voire de complicité objective.

Les black blocs piquent aussi la curiosité du médiologue. Par leur silence rageur d’abord : pour eux, détruire c’est dire. On a remarqué qu’ils s’en prenaient à des symboles du capitalisme, de la voiture de luxe à la vitrine de fast food et qu’ils agressaient plus les choses que les gens. Dans tous les cas, ils n’ont ni local, ni représentants qualifiés, ni service de communication à interviewer. Moins encore de programme. Il faut donc, sauf à se fier à des confessions incertaines, interpréter le laconisme du vandalisme : l’objet brisé représente le monde qu’ils haïssent et cela clôt la discussion.

Communauté sans frontières

Les black blocs se révèlent aussi à travers leur conception du mouvement et du territoire. Tout d’abord ils convergent. Venus parfois de loin, formant une communauté sans frontières, ils se rassemblent vite pour s’amalgamer à un mouvement plus général, plus placide et plus lent : les « vrais » manifestants. C’est la technique du raid, coordination et vitesse d’attaque, ou plus exactement la méthode dite de l’essaim : venir de partout, frapper et repartir. Cette stratégie (swarming en anglais) a d’ailleurs été théorisée par les centres de recherche de l’armée américaine dans les années 90 : des forces dispersées, bien reliées par les réseaux numériques, frappent au point qui provoque le maximum de chaos, puis redisparaissent.

Mais, une fois rassemblés, le temps de la performance, les black blocs délimitent théâtralement l’espace qu’ils dominent : on s’y affrontera à la police, on y produira une « zone » de réalisation éphémère de liberté destructrice. Éventuellement, on y recherchera l’exploit spectaculaire (et il faut leur reconnaître une compétence d’ordre militaire). En attendant la prochaine représentation. On n’est donc black bloc que le temps d’agir.

Derrière ces mouvements et ces rites, il y a des moyens de communication. Les black blocs savent la façon de se retrouver, de s’identifier, pour décider d’une tactique et d’un objectif, d’échapper à la surveillance policière, tout cela sur les réseaux sociaux, suivant les règles de la cryptologie et de l’anomymisation.

Certes, ils ne sont pas les seuls et nous notion les progrès des manifestants en matière de cyber manifestation ou e-émeute. Mais les black blocs, groupe affinitaire et temporaire excellent dans la programmation numérique de l’action physique. Nihilisme symbolique et individualisme surexcité, le tout sur fond de communautés numériques : c’est bien la troisième génération de la révolte dont parle Régis Debray : sans contre-projet, mais dans l’action comme révélation de soi.

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