Quand les GAFAM censurent Trump

Date

7 août 2020

Partager

Résumé

Le pouvoir de faire-croire, inhérent à la politique, repose sur les moyens de faire savoir que et de faire penser à… Autrement dit, des médias. On les a toujours présumés au service des dominants et de leur idéologie. Mais au fait, qui sont les dominants aujourd’hui aux U.S.A. ?

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7 août 2020

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Résumé

Le pouvoir de faire-croire, inhérent à la politique, repose sur les moyens de faire savoir que et de faire penser à… Autrement dit, des médias. On les a toujours présumés au service des dominants et de leur idéologie. Mais au fait, qui sont les dominants aujourd’hui aux U.S.A. ?

Qu’un politique réputé autoritaire fasse retirer un contenu subversif en ligne, rien d’étonnant (rappel : le gouvernement français est dans le peloton de tête des demandes de retraits de comptes et contenus adressées aux GAFAM). Mais qu’un président soit censuré par les grands du Net et dans son propre pays, voilà qui est plus rare.

C’est ce qui vient d’arriver – une vidéo de Trump a été simultanément retirée de You Tube, Facebook et Twitter (ce dernier suspend même son compte au moment où nous écrivons). Motif : une interview où Trump déclarait que l’Amérique avait le plus faible taux de mortalité par Covid-19 du monde et que les enfants sont quasiment immunisés. Deux affirmations factuellement fausses – ce qui est facile à vérifier -, potentiellement nocives puisqu’elles pourraient amener des citoyens à ne plus prendre de précautions et immédiatement dénoncées comme fakes. Ce seraient en quelques sorte des paroles objectivement dangereuses pour la santé de ceux qui y croiraient. Personne ne conteste que Trump soit un lourd récidiviste du mensonge. Ni n’a oublié que Twitter et Facebook se sont engagés à retirer les fausses nouvelles relatives à la pandémie (Maduro et Bolsonaro en savent quelque chose).

L’argument est du même ordre d’idée que « la liberté dexpression ne devrait pas permettre de crier au feu dans un lieu public, car cela risque de provoquer une panique où des gens seraient piétinés» . Il ne semble pas illogique… Sauf qu’il mène à laisser des compagnies privées a) décider de ce qui doit parvenir à nos cerveaux b) jusqu’où un chef de l’État a le droit de mentir et c) s’ériger en juges de la vérité ou du mensonge (ou a minima du mensonge insupportable celui qui peut engendrer des comportements mortifères). Conclusion : une autorité non élue, non contrôlée par les citoyens, en vertu du principe code is law, décide du vrai et du communicable. Et pas seulement.

Car la genèse de ces censures de Trump révèle d’autres enjeux.

En mai, Twitter signalait comme « trompeur » un tweet du Président jugeant que le vote par correspondance aux élections présidentielles serait forcément frauduleux. Quelle que soit l’opinion que l’on professe sur le vote postal ou le cerveau de Trump, il s’agissait là d’un discours relatif au probable (le vote sera ou pas truqué). Disons d’une opinion de Trump sur l’avenir. Et non d’un événement passé dont on pourrait démontrer par preuves ou témoignages qu’il est avéré ou pas.

En mai aussi, Twitter signalait, cette fois comme appel à la violence, un tweet (when looting starts, shooting starts) par lequel Trump menaçait les pillards dans les manifestations #blacklivematters. Donc le fait de menacer des émeutiers de la force armée serait une apologie du crime et un appel à la haine. Un délit d’opinion et non une option politique.

Outre que la chose s’est produite autrefois (très jeune l’auteur de ces lignes a été témoin de tirs des forces de l’ordre sur des émeutiers à Washington D.C.), qualifier l’exercice d’une fonction régalienne (recours à la violence létale ou à sa menace pour rétablir l’ordre public) ne renverrait plus, dans cette logique, pas à la notion de justice politique – la violence d’État est ou pas justifiée au regard du Bien commun – . Ce serait une notion rhétorique ou psychologique : apologie, appel, incitation… Et une fois encore, qui juge de ce qui relève du crime contre l’esprit ?

À l’époque, Marc Zuckerberg, patron de Facebook était resté en retrait par rapport à Jack Dorsey, boss de Twitter. L’argument du PDG de Facebook était qu’il n’avait pas à s’ériger en juge de la vérité : quand bien même ils seraient trompeurs ou immoraux, les propos de Trump devaient être portés à la connaissance du public, qu’il n’y avait pas de « risque immédiat », etc. Ce qui lui valut une volée de bois vert : attaque des démocrates, des médias, voire des annonceurs publicitaires, soupçons de s’être vendu au locataire de la Maison blanche. Depuis Zuckerberg, déjà houspillé pour avoir laissé faire les interférences russes dans la campagne de 2016 (fakes, trolls et compagnie) a craqué. Il a eu chaud : dans une tribune du Monde, on se demandait déjà « Zuckerberg a-t-il basculé du mauvais côté de l’Histoire ». Ça sentait le fagot.

Cette curieuse affaire pose un problème politique. D’une part, elle marque le triomphe du capital privé sur l’autorité traditionnelle : les grands du Net doivent, certes obéir aux législations nationales (voire notre loi « infox » ). Mais le droit de faire disparaître un message (supprimer un compte, supprimer un contenu, le déréfencer de telle façon qu’il devient introuvable, le signaler comme faux ou dangereux) résulte d’un contrat. Vous avez signé les CGU (conditions générales d’utilisation) vous avez donné le droit de supprimer votre avis. On se référera, outre la charte des bons usages aux critères de la communauté pour juger si vous avez franchi la frontière entre l’opinion du douteuse et le fake scandaleux. Ou entre la critique du comportement d’un groupe et un discours de haine stigmatisant telle ou telle catégorie en tant que telle. Qui détermine (avec ses modérateurs, ses algorithmes…) quelles affirmations sont fausses ou blessent, décide qui pense quoi.

Accessoirement, Trump, élu comme par surprise (jouant la carte des réseaux sociaux et du « pair à pair » contre les grands médias acquis à Hillary) se trouve dans une situation paradoxale. Il dirige la plus grande puissance du monde, mais guère ses moyens de communications. Rejeté par les médias mainstream, chassé sur les réseaux sociaux, il lui reste son bagou et son culot. Le pouvoir de faire-croire, inhérent à la politique, repose sur les moyens de faire savoir que et de faire penser à… Autrement dit, des médias. On les a toujours présumés au service des dominants et de leur idéologie. Mais au fait, qui sont les dominants aujourd’hui aux U.S.A. ?

Qu’un politique réputé autoritaire fasse retirer un contenu subversif en ligne, rien d’étonnant (rappel : le gouvernement français est dans le peloton de tête des demandes de retraits de comptes et contenus adressées aux GAFAM). Mais qu’un président soit censuré par les grands du Net et dans son propre pays, voilà qui est plus rare.

C’est ce qui vient d’arriver – une vidéo de Trump a été simultanément retirée de You Tube, Facebook et Twitter (ce dernier suspend même son compte au moment où nous écrivons). Motif : une interview où Trump déclarait que l’Amérique avait le plus faible taux de mortalité par Covid-19 du monde et que les enfants sont quasiment immunisés. Deux affirmations factuellement fausses – ce qui est facile à vérifier -, potentiellement nocives puisqu’elles pourraient amener des citoyens à ne plus prendre de précautions et immédiatement dénoncées comme fakes. Ce seraient en quelques sorte des paroles objectivement dangereuses pour la santé de ceux qui y croiraient. Personne ne conteste que Trump soit un lourd récidiviste du mensonge. Ni n’a oublié que Twitter et Facebook se sont engagés à retirer les fausses nouvelles relatives à la pandémie (Maduro et Bolsonaro en savent quelque chose).

L’argument est du même ordre d’idée que « la liberté dexpression ne devrait pas permettre de crier au feu dans un lieu public, car cela risque de provoquer une panique où des gens seraient piétinés» . Il ne semble pas illogique… Sauf qu’il mène à laisser des compagnies privées a) décider de ce qui doit parvenir à nos cerveaux b) jusqu’où un chef de l’État a le droit de mentir et c) s’ériger en juges de la vérité ou du mensonge (ou a minima du mensonge insupportable celui qui peut engendrer des comportements mortifères). Conclusion : une autorité non élue, non contrôlée par les citoyens, en vertu du principe code is law, décide du vrai et du communicable. Et pas seulement.

Car la genèse de ces censures de Trump révèle d’autres enjeux.

En mai, Twitter signalait comme « trompeur » un tweet du Président jugeant que le vote par correspondance aux élections présidentielles serait forcément frauduleux. Quelle que soit l’opinion que l’on professe sur le vote postal ou le cerveau de Trump, il s’agissait là d’un discours relatif au probable (le vote sera ou pas truqué). Disons d’une opinion de Trump sur l’avenir. Et non d’un événement passé dont on pourrait démontrer par preuves ou témoignages qu’il est avéré ou pas.

En mai aussi, Twitter signalait, cette fois comme appel à la violence, un tweet (when looting starts, shooting starts) par lequel Trump menaçait les pillards dans les manifestations #blacklivematters. Donc le fait de menacer des émeutiers de la force armée serait une apologie du crime et un appel à la haine. Un délit d’opinion et non une option politique.

Outre que la chose s’est produite autrefois (très jeune l’auteur de ces lignes a été témoin de tirs des forces de l’ordre sur des émeutiers à Washington D.C.), qualifier l’exercice d’une fonction régalienne (recours à la violence létale ou à sa menace pour rétablir l’ordre public) ne renverrait plus, dans cette logique, pas à la notion de justice politique – la violence d’État est ou pas justifiée au regard du Bien commun – . Ce serait une notion rhétorique ou psychologique : apologie, appel, incitation… Et une fois encore, qui juge de ce qui relève du crime contre l’esprit ?

À l’époque, Marc Zuckerberg, patron de Facebook était resté en retrait par rapport à Jack Dorsey, boss de Twitter. L’argument du PDG de Facebook était qu’il n’avait pas à s’ériger en juge de la vérité : quand bien même ils seraient trompeurs ou immoraux, les propos de Trump devaient être portés à la connaissance du public, qu’il n’y avait pas de « risque immédiat », etc. Ce qui lui valut une volée de bois vert : attaque des démocrates, des médias, voire des annonceurs publicitaires, soupçons de s’être vendu au locataire de la Maison blanche. Depuis Zuckerberg, déjà houspillé pour avoir laissé faire les interférences russes dans la campagne de 2016 (fakes, trolls et compagnie) a craqué. Il a eu chaud : dans une tribune du Monde, on se demandait déjà « Zuckerberg a-t-il basculé du mauvais côté de l’Histoire ». Ça sentait le fagot.

Cette curieuse affaire pose un problème politique. D’une part, elle marque le triomphe du capital privé sur l’autorité traditionnelle : les grands du Net doivent, certes obéir aux législations nationales (voire notre loi « infox » ). Mais le droit de faire disparaître un message (supprimer un compte, supprimer un contenu, le déréfencer de telle façon qu’il devient introuvable, le signaler comme faux ou dangereux) résulte d’un contrat. Vous avez signé les CGU (conditions générales d’utilisation) vous avez donné le droit de supprimer votre avis. On se référera, outre la charte des bons usages aux critères de la communauté pour juger si vous avez franchi la frontière entre l’opinion du douteuse et le fake scandaleux. Ou entre la critique du comportement d’un groupe et un discours de haine stigmatisant telle ou telle catégorie en tant que telle. Qui détermine (avec ses modérateurs, ses algorithmes…) quelles affirmations sont fausses ou blessent, décide qui pense quoi.

Accessoirement, Trump, élu comme par surprise (jouant la carte des réseaux sociaux et du « pair à pair » contre les grands médias acquis à Hillary) se trouve dans une situation paradoxale. Il dirige la plus grande puissance du monde, mais guère ses moyens de communications. Rejeté par les médias mainstream, chassé sur les réseaux sociaux, il lui reste son bagou et son culot. Le pouvoir de faire-croire, inhérent à la politique, repose sur les moyens de faire savoir que et de faire penser à… Autrement dit, des médias. On les a toujours présumés au service des dominants et de leur idéologie. Mais au fait, qui sont les dominants aujourd’hui aux U.S.A. ?

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