“Zozos” ou alliés de la santé publique ? De l’utilité paradoxale des anti-masques

Date

14 septembre 2020

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Résumé

D’une façon paradoxale, les anti-masques, dont l’innocuité et le poids politique réel est sans commune mesure avec leur surface médiatique, se révèlent ainsi parmi les meilleurs alliés de la santé publique. Et de celles des finances de l’Etat.

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14 septembre 2020

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Résumé

D’une façon paradoxale, les anti-masques, dont l’innocuité et le poids politique réel est sans commune mesure avec leur surface médiatique, se révèlent ainsi parmi les meilleurs alliés de la santé publique. Et de celles des finances de l’Etat.

La grande Comédie humaine de la pandémie ne cesse de voir sa galerie de personnages s’étoffer. Dans ce domaine, depuis le début, les figures à honnir ne sont pas en reste. Après celle du grand bourgeois parisien fuyant l’épidémie et les beaux quartiers de la capitale pour se confiner dans sa résidence secondaire, celle de l’adolescent frivole faisant fi des sacro-saints gestes barrières lors d’apéros géants sur les berges du Canal Saint-Martin et sur l’esplanade des Invalides, au risque de faire repartir l’épidémie, la France s’est désormais trouvée une nouvelle figure à marquer du sceau de la réprobation dans la personne des anti-masques.

Comme aux heures de gloire du Petit Journal de Canal+, les représentants de cette nouvelle mouvance se sont succédés sur les écrans pour vivre leur quart d’heure warholien, déchaînant les élans de moquerie et d’indignation ad libitum sur les réseaux sociaux. De la vidéo d’Eve Engerer, médecin généraliste du Bas-Rhin rendue célèbre pour ses faux certificats dispensant du port du masque, qualifiant ce dernier de « rituel pédo-satanique » et se présentant elle-même comme un « aigle », aux images de pancartes de manifestants proclamant que l’institut Pasteur « a créé le virus » et faisant mention de papayes contaminées ou que l’obligation du port du masque s’inscrirait dans un agenda caché vers l’avènement du nouvel ordre mondial, dont la prochaine étape serait le déploiement de la 5G : tous ces étranges personnages ont défilé sur les écrans dans un carnaval hypnotisant qui n’a laissé personne indifférent. Au point que la chaleur des commentaires qu’ils ont suscité apparaît inversement proportionnelle à leur nombre et à leur poids réel dans la société française.

“Jojo le Gilet jaune” et Zozo l’anti-masque

Restreindre cette réaction à l’encontre de l’injonction du port du masque à sa seule dimension folklorique et à des causalités sociales ou psychologiques (entre paranoïa, baisse dramatique de la culture scientifique dans le grand public et vague fond de sauce de spiritualité new age) serait un peu réducteur. Au sein des reliquats du mouvement des Gilets jaunes, certains veulent voir dans cette nouvelle mobilisation une forme de résistance à la “dictature sanitaire”  – là où beaucoup de Français ne voient qu’une expression d’incivisme ou d’inconscience -, variation sur un même thème de la résistance à la “dictature policière” et à la “dictature de l’argent” que conspuent le dernier carré des manifestants de novembre 2018. Non dénués d’opportunisme et cherchant à conjurer l’inéluctable décomposition de leur mouvement, en récupérant n’importe quel sujet de mécontentement, de nombreuses figures des Gilets jaunes (Jérôme Rodrigues, Maxime Nicolle) appellent à une convergence avec les anti-masques pour renverser la Ve République. Un énième appel à la convergence des luttes, qui s’ajoute aux appels sans lendemain à s’unir avec les black blocks, avec les manifestants contre la réforme des retraites, avec le personnel en grève des hôpitaux publics ou encore avec les pompiers, sans avoir jamais réussi à remplumer leurs rangs de plus en plus clairsemés. Il y a fort à gager cependant que les appels de certains anti-masques à manifester jusque dans les couloirs des hôpitaux pour inciter les soignants à se débarrasser de leurs masques pour se prémunir des risques pour “l’oxygénation du cerveau” que ceux-ci causeraient (une information cruciale qui leur aurait échappée pour la plupart durant leurs études de médecine et d’infirmiers), ne devraient rencontrer qu’une faible popularité dans le grand public. Et que la récupération de ceux que d’aucuns qualifieraient familièrement “d’authentiques zozos” devrait donc s’avérer plus périlleuse et moins profitable qu’escompté par leurs promoteurs.

Force politique mineure à ce stade, destiné à faire bloc contre elle à force d’outrance et de délires fumeux voire carrément grotesques, les anti-masques ne sont cependant pas dépourvus d’utilité sociale. Durant les dernières semaines, marquées par une grande confusion autour de la concrétisation d’une seconde vague, ceux-ci ont fourni une figure repoussoir à l’opinion, constituant en eux-même un argument massue pour justifier à une opinion peu convaincue d’une reprise épidémique de l’ensemble des mesures obligatoires prises par le gouvernement. Pour les Français mal habitués au port du masque en extérieur, la crainte d’être perçu comme un anti-masque aura sans doute pour partie joué dans l’appropriation de cette prophylaxie – au même titre (plus ?) que les messages de sensibilisation, spots TV, affiches et posts sponsorisés sur des pages gouvernementales sur les réseaux sociaux, faisant ainsi économiser des centaines de milliers d’euros de publicité (et d’amendes) au contribuable. En période d’incertitude stratégique, la réactivation des clivages et de la figure de l’ennemi constituent des puissants ressorts de conviction, qui s’établissent assez naturellement dans le grand public – notamment dans une opinion travaillée par une défiance croissante à l’égard de toutes les autorités, qu’elles soient publiques ou privées -, parce qu’elle survalorise notamment l’exercice individuel du sens critique et la défiance à l’égard des corps constitués. Qu’importe au final de faire l’unanimité, qui apparaît plus que fantasmagorique dans un pays archipellisé (Fourquet) façon puzzle, tant qu’une écrasante majorité de citoyens accepte de se plier aux obligations sanitaires. D’une façon paradoxale, les anti-masques, dont l’innocuité et le poids politique réel est sans commune mesure avec leur surface médiatique, se révèlent ainsi parmi les meilleurs alliés de la santé publique. Et de celles des finances de l’État.

La grande Comédie humaine de la pandémie ne cesse de voir sa galerie de personnages s’étoffer. Dans ce domaine, depuis le début, les figures à honnir ne sont pas en reste. Après celle du grand bourgeois parisien fuyant l’épidémie et les beaux quartiers de la capitale pour se confiner dans sa résidence secondaire, celle de l’adolescent frivole faisant fi des sacro-saints gestes barrières lors d’apéros géants sur les berges du Canal Saint-Martin et sur l’esplanade des Invalides, au risque de faire repartir l’épidémie, la France s’est désormais trouvée une nouvelle figure à marquer du sceau de la réprobation dans la personne des anti-masques.

Comme aux heures de gloire du Petit Journal de Canal+, les représentants de cette nouvelle mouvance se sont succédés sur les écrans pour vivre leur quart d’heure warholien, déchaînant les élans de moquerie et d’indignation ad libitum sur les réseaux sociaux. De la vidéo d’Eve Engerer, médecin généraliste du Bas-Rhin rendue célèbre pour ses faux certificats dispensant du port du masque, qualifiant ce dernier de « rituel pédo-satanique » et se présentant elle-même comme un « aigle », aux images de pancartes de manifestants proclamant que l’institut Pasteur « a créé le virus » et faisant mention de papayes contaminées ou que l’obligation du port du masque s’inscrirait dans un agenda caché vers l’avènement du nouvel ordre mondial, dont la prochaine étape serait le déploiement de la 5G : tous ces étranges personnages ont défilé sur les écrans dans un carnaval hypnotisant qui n’a laissé personne indifférent. Au point que la chaleur des commentaires qu’ils ont suscité apparaît inversement proportionnelle à leur nombre et à leur poids réel dans la société française.

“Jojo le Gilet jaune” et Zozo l’anti-masque

Restreindre cette réaction à l’encontre de l’injonction du port du masque à sa seule dimension folklorique et à des causalités sociales ou psychologiques (entre paranoïa, baisse dramatique de la culture scientifique dans le grand public et vague fond de sauce de spiritualité new age) serait un peu réducteur. Au sein des reliquats du mouvement des Gilets jaunes, certains veulent voir dans cette nouvelle mobilisation une forme de résistance à la “dictature sanitaire”  – là où beaucoup de Français ne voient qu’une expression d’incivisme ou d’inconscience -, variation sur un même thème de la résistance à la “dictature policière” et à la “dictature de l’argent” que conspuent le dernier carré des manifestants de novembre 2018. Non dénués d’opportunisme et cherchant à conjurer l’inéluctable décomposition de leur mouvement, en récupérant n’importe quel sujet de mécontentement, de nombreuses figures des Gilets jaunes (Jérôme Rodrigues, Maxime Nicolle) appellent à une convergence avec les anti-masques pour renverser la Ve République. Un énième appel à la convergence des luttes, qui s’ajoute aux appels sans lendemain à s’unir avec les black blocks, avec les manifestants contre la réforme des retraites, avec le personnel en grève des hôpitaux publics ou encore avec les pompiers, sans avoir jamais réussi à remplumer leurs rangs de plus en plus clairsemés. Il y a fort à gager cependant que les appels de certains anti-masques à manifester jusque dans les couloirs des hôpitaux pour inciter les soignants à se débarrasser de leurs masques pour se prémunir des risques pour “l’oxygénation du cerveau” que ceux-ci causeraient (une information cruciale qui leur aurait échappée pour la plupart durant leurs études de médecine et d’infirmiers), ne devraient rencontrer qu’une faible popularité dans le grand public. Et que la récupération de ceux que d’aucuns qualifieraient familièrement “d’authentiques zozos” devrait donc s’avérer plus périlleuse et moins profitable qu’escompté par leurs promoteurs.

Force politique mineure à ce stade, destiné à faire bloc contre elle à force d’outrance et de délires fumeux voire carrément grotesques, les anti-masques ne sont cependant pas dépourvus d’utilité sociale. Durant les dernières semaines, marquées par une grande confusion autour de la concrétisation d’une seconde vague, ceux-ci ont fourni une figure repoussoir à l’opinion, constituant en eux-même un argument massue pour justifier à une opinion peu convaincue d’une reprise épidémique de l’ensemble des mesures obligatoires prises par le gouvernement. Pour les Français mal habitués au port du masque en extérieur, la crainte d’être perçu comme un anti-masque aura sans doute pour partie joué dans l’appropriation de cette prophylaxie – au même titre (plus ?) que les messages de sensibilisation, spots TV, affiches et posts sponsorisés sur des pages gouvernementales sur les réseaux sociaux, faisant ainsi économiser des centaines de milliers d’euros de publicité (et d’amendes) au contribuable. En période d’incertitude stratégique, la réactivation des clivages et de la figure de l’ennemi constituent des puissants ressorts de conviction, qui s’établissent assez naturellement dans le grand public – notamment dans une opinion travaillée par une défiance croissante à l’égard de toutes les autorités, qu’elles soient publiques ou privées -, parce qu’elle survalorise notamment l’exercice individuel du sens critique et la défiance à l’égard des corps constitués. Qu’importe au final de faire l’unanimité, qui apparaît plus que fantasmagorique dans un pays archipellisé (Fourquet) façon puzzle, tant qu’une écrasante majorité de citoyens accepte de se plier aux obligations sanitaires. D’une façon paradoxale, les anti-masques, dont l’innocuité et le poids politique réel est sans commune mesure avec leur surface médiatique, se révèlent ainsi parmi les meilleurs alliés de la santé publique. Et de celles des finances de l’État.

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